J’ai vécu 5 ans au Costa Rica. C’est mon pays d’adoption. Rapidement, je me suis fait un clan d’amies costariciennes, colombiennes, argentines, bref, une gang de latina. En vacances sur le bord de la mer, on ne voit pas l’envers du décor qui nous apparaît si paradisiaque. Une fois établie sur place mais avant de m’adapter complètement, la féministe en moi a reçu quelques coups de poing en pleine gueule.
Dans les pays du sud, la religion occupe une place importante. La seule source d’éducation de nombreuses personnes demeure l’Église. T’imagine les résultats… L’avortement est illégal, la contraception pas très à la mode, les jeunes mamans sont monoparentales à 16 ans et les croyances limitantes circulent à profusion. J’ai rencontré un mec d’une vingtaine d’années qui ne se masturbait pas, car il croyait que la quantité de son sperme était limitée et il avait peur d’en manquer lorsque viendrait le temps de faire un bébé.
Malheureusement, le jour redouté est arrivé quand une amie m’a demandé de l’aide pour avorter. Je ne suis pas médecin, mais je crois que toutes les femmes devraient pouvoir choisir par elles-mêmes ce qu’elles désirent faire avec leur corps. À ce moment-là, mon amie calculait presque 2 mois sans avoir eu ses règles. Ensemble, on a commencé à faire des recherches…
J’ai appelé dans plusieurs CLSC au Canada pour trouver de l’aide, recevoir un conseil, mais en vain. Personne ne voulait être complice d’un avortement illégal… Câlisse. Sur un forum de discussion, une fille nous a parlé du Misoprostol; des pilules abortives. Pour nous simplifier la tâche, la posologie variait d’un site à l’autre, la limite de temps pour l’utiliser aussi. On a consulté tous les médecins du coin et les plus éloignés; aucun n’a voulu nous faire une prescription. Le temps a passé et mon amie est arrivée à 3 mois de grossesse.
Une rumeur racontait qu’à la frontière du Nicaragua, quelqu’un pourrait peut-être nous aider. Sans garantie, nous avons donc fait 4h d’autobus pour se rendre aux douanes. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un labyrinthe de clôtures barbelées; d’un bord il y a des centaines de personnes qui crient pour vendre des objets de toutes sortes aux arrivants de l’autre côté, qui doivent circuler. Trouver notre homme dans cette cacophonie n’a pas été facile.
Après quelques tentatives infructueuses, un homme à l’air sérieux est venu à notre rencontre. Il a écouté notre problème et nous a demandé 200$; la moitié payable maintenant et l’autre à la livraison du produit, soit dans 1 mois. On a capoté. Pas tant pour le prix qu’on a réussi à négocier à 120$ en tout, mais surtout pour le délai d’attente… On lui a donné le 60$, sans recevoir de reçu, bien entendu, mais son numéro de téléphone griffonné sur un p’tit bout de papier froissé. Notre seul espoir s’est éloigné en nous tournant le dos.
Mon amie est arrivée à son quatrième mois de grossesse. On a appelé l’homme en question qui nous a répondu d’un ton nerveux: « Le médecin qui me fait normalement la prescription est parti en vacances. Blablabla. » Bref, il nous a fortement suggéré d’attendre encore un peu… Merde ! Le temps manquait mais les options encore plus. Alors, devant l’absence d’une alternative raisonnable, on a attendu. Presque 5 mois de grossesse. Il a appelé, enfin. On s’est rendu à la frontière, on a payé et reçu un pot sans étiquette, rempli de pilules blanches sans inscription ; ça pouvait être n’importe quoi, mais il jurait que c’était des Cytotec. Selon ses instructions, fallait répartir les 12 comprimés en deux doses; la deuxième après une pause de 6h. (Plus tard, j’appris que ce n’était pas la bonne posologie) *
Puisque les délais conseillés sur le web étaient dépassés depuis belle lurette, c’est avec la peur au ventre que j’ai accompagné mon amie dans sa chambre, où elle a consommé les pilules interdites. Toutes sortes de craintes nous passaient par la tête : « on fait quoi en cas d’overdose ou d’hémorragie ? Et si ça ne tue pas le bébé, mais que ça le rend infirme ? Et si je vomis et ça ne marche plus? Et si, et si… » D’un coup, après presque 8h d’attente et de nausées désagréables, elle a commencé à avoir des crampes vraiment douloureuses. Et c’est après 4h de souffrance qu’elle a expulsé un minuscule bébé mort… et beaucoup de sang.
Je n’oublierai jamais l’enterrement secret et silencieux qui a suivi.
Combien de filles désespérées n’auront pas les moyens de payer les frais de ce voyage et devront inévitablement accoucher, sans en avoir envie ? Ou pire encore ; combien d’entre elles tomberont sur un charlatan ou opteront pour les vieilles méthodes dangereuses ?
À l’adolescence, je suis tombée enceinte. Pourtant, je savais que « (pénis + vagin) – protection = bébé potentiel ». J’avais accès à des pilules contraceptives, mais je me disais qu’elles étaient inutiles puisque je faisais attention. Moi aussi, j’avais des croyances limitantes.

Paniquée d’avoir 1 mois de retard, je suis allée au CLSC pour finalement me retrouver sur une liste d’attente. Je me suis fait avorter 2 mois plus tard, soit à 3 mois de grossesse. Le jour de mon avortement, la salle était pleine de filles tristes. Mon cerveau s’est mis à calculer : 44 jours ouvrables X environ 10 filles = 440 avortements en 2 mois, dans cette clinique uniquement. Ouach. J’étais dégoûtée.
De plus, c’était inhumain : une salle froide décorée de néons et d’outils en stainless, des médecins gris qui avaient oublié comment sourire et dire bonjour, un lit d’hôpital avec trépieds pour te rappeler les joies d’être dans cette position vulnérable et des infirmières incapables de démontrer un réel support émotionnel. Même si j’étais certaine de mon choix, j’avais envie de pleurer. Une voix monotone m’a annoncé: « Tu vas sentir une piqûre, comme un moustique. » Dude, j’sais pas de quel putain de moustique il est question ici, mais il pique en tabarnak. Quelle douleur! J’ai senti qu’on me transperçait l’intérieur. Et ce n’était rien à comparer au bruit qui allait suivre…
Imagine un aspirateur qui va racler tes parois pour tout nettoyer. Mais ce n’est pas d’la poussière qui passe par là, ce sont des caillots de bébé en déconstruction que j’entendais parfaitement bloquer le tube par lequel les morceaux étaient aspirés. Pénible. J’comprends toujours pas pourquoi on ne m’a pas proposé des écouteurs ou des bouchons. C’était comme s’ils voulaient me punir, comme s’ils me disaient : « Écoute le son de tes conneries, ma grande. »

Ce n’est que des années plus tard que j’ai vraiment fait le deuil de ce petit être. Je lui ai demandé pardon de ne pas avoir eu les ressources nécessaires pour le mettre à terme. J’ai eu droit à une cérémonie hypnotique extraordinaire dans laquelle j’ai exécuté un rituel de guérison. Au creux de ma main, j’ai vu mon p’tit bébé avec un bandeau et une plume. Dans cette visualisation réparatrice, je l’ai offert à la Lumière de la vierge Marie (je ne suis aucunement religieuse mais faut croire que même au Québec, la religion influence encore notre inconscient). Quand elle a pris mon bébé, j’ai senti un apaisement intérieur. Il était entre bonnes mains, elle saurait en prendre grand soin.
Par cette histoire, j’aimerais sensibiliser les gens à l’importance de la prévention. Je suis 100% pro-choix mais mon cœur est triste de compter les avortements en série. En 2011, il y en a eu 26 248 au Québec seulement. (Environ 500 par semaine). Dans ce pays où cet acte est illégal, j’ai appris à respecter les chances que nous avons ici ; celle d’être libre d’avorter… et celle de s’éduquer afin d’agir plus consciemment, de prévenir ou de guérir plus rapidement.
* POSOLOGIE EXACTE pour provoquer un avortement : la femme doit mettre 4 comprimés de 200 microgrammes (au total 800 mcg) de Misoprostol sous la langue. N’avalez pas! Après 3 heures, elle devrait mettre encore 4 comprimés de Misoprostol sous la langue. Répétez une dernière fois après 3h (les 4 derniers comprimés) (Source)
* Si une amie se trouve dans un pays où l’avortement est illégal, tu peux lui conseiller de consulter cet organisme, via ce site internet : WOMAN ON WEB
* Le site Gynopedia donne accès à des informations pertinentes liées à la santé sexuelle et reproductive des femmes à travers le monde.
Dans un appart de Montréal, Mel Goyer a fondé le mouvement du Vagin Connaisseur et le projet Les 3 font le mois. Une femme passionnée également Coach PNL, conférencière et activiste. L’authenticité, la liberté et la cohérence sont ses principaux guides terrestres. Le mot clé de son quotidien est « ACTION! » car Mel désire faire une différence dans le monde d’aujourd’hui. Une visite sur son SITE WEB ou sa PAGE FACEBOOK ?
Si tu veux savoir comment participer à l’émancipation du savoir féminin, clique ici
Bien je soie en faveur de l’avortement, il y a quand même des limites! Se faire avorter à 5 mois est un crime!!! De nos jours, un foetus est viable à 22 semaines de grossesse…
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Je suis consciente que ce n’est pas l’idéal. Mais si tu comprends la situation, tu vois que le monde n’est pas rose. Dis-moi, Lisa, c’est quoi le pire? Avorter à 5 mois ou mettre au monde un autre enfant non désiré qui en payera les frais toute sa vie? Chacun son choix… quand on est libre de choisir.
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P.S.: Aujourd’hui, mon amie a un p’tit gars de 5 ans en excellente santé, qui a été désiré et attendu avec bcp d’amour. Elle est une maman extraordinaire et vraiment dévouée.
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Ayoye c’est touchant de lire sa ! Sa ma fait essuyé quelques larmes… Ss fait réfléchir w
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Merci Joannie d’avoir pris le temps de lire ce texte… je sais qu’il n’est pas facile.
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Et si cet enfant non désiré avait eu une vie merveilleuse ? Car ce n’est pas le désir de la mère, qui fait la beauté de la vie de l’enfant. Ce ne sont pas complètement les conditions matérielles non plus (d’ailleurs, il y a pas mal d’associations d’aide aux mères en difficultés) : c’est surtout, me semble-t-il, l’amour mutuel du père et de la mère, qui est la promesse d’un bon départ dans la vie pour un enfant. Et on a tous et toutes des exemples d’enfants désirés à toute force, et qui ont sombré, quelquefois même à cause de ce désir. Loin de moi de vouloir culpabiliser quiconque, mais je ne pense pas que l’argument consistant à dire qu’il aurait eu une vie épouvantable, puisqu’il n’était pas désiré, soit juste. Pas plus que ne serait juste l’argument qui consisterait à dire qu’il aurait une vie ratée, puisqu’il a un handicap ou une malformation. Je ne connais pas de vie qui ne soit pas cabossée, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Mais ces vies cabossées sont des vies pleinement humaines, imparfaites, rendues magnifiques par des moments magiques qui sont toujours des cadeaux de l’existence, et n’ont pas de rapport avec le fait que vous ayez été désirés ou pas.
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Et si… et si… et si… en attendant, je ne regrette nullement mon choix. Ma vie à moi aussi est importante (on dirait que tu l’oublies dans ta réflexion…) Ce n’est p-t pas le désir de la mère qui fait la beauté de la vie d’un enfant mais son amour. Un enfant non-désiré le sent… je suis témoin d’enfants qui cherchent désespérément l’amour dans leur vie… je trouve ça bin pire que de ne pas mettre un enfant au monde. Chacun sa vision.
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Il y a beaucoup d’organisme qui viennent en aide au mère en difficulté AU QUÉBEC. Ce n’est pas nécessairement le cas dans le pays d’origine de la personne en question dans le texte, et c’est un facteur très important dans la décision.
De ce que j’ai vu pour l’instant (je ne suis pas experte, c’est une simple observation), avortement illégal rime souvent avec mauvaise condition de la femme: stigmatisation des mères monoparentale, manque de soutient et de ressources pour ces mères, stigmatisation des relation hors mariage, stigmatisation des femmes divorcé, stigmatisation des enfants nées hors mariage, stigmatisation des enfants aux parents divorcé, etc. Ce peux être un handicape terrible pour la vie de la mère ET de l’enfant.
C’est facile de juger quand on n’est pas dans la peau de l’autre et qu’on observe du haut de notre confort occidental, sauf que tous n’ont pas nos ressources: il ne faudrait pas l’oublier.
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